27 Juin 2017
De l'école coranique au prix Goncourt, de Tanger à Paris, Tahar Ben Jelloun raconte les amis qui, toujours, ont accompagné sa propre vie.
Rare et précieuse, l'amitié ne souffre aucun manquement. Elle est une foi totale en l'autre au point que sa trahison est vécue comme une forme silencieuse du meurtre. Pour parler de ce jardin secret, de ses merveilles et de ses blessures, Tahar Ben Jelloun fait un retour sur lui-même, sur le bonheur de l'amitié partagée et sur la souffrance jamais apaisée d'avoir été trahi.
« Toujours présente, jamais pesante », telle est la devise de l'amitié!
Voici un essai très intéressant de Ben Jelloun. Ses livres sont toujours marqués par sa forte présence au sein de son écriture. Ici, il nous propose de comprendre à travers ses yeux, ce qu'est l'amitié et ce qu'il a connu de la trahison.
Bien sûr, on n'est pas obligé de partir avec l'idée que l'amitié sincère existe, Ben Jelloun nous fait avant tout découvrir ces deux sentiments et nous permet d'entrer dans le débat de l'existence ou non de l'amitié.
L'éloge de l'amitié occupe les trois quarts du livre, et c'est plutôt la description de cette amitié typique du Maghreb, pleine de chaleur et poussée à l'extrème :
« L'amitié est une religion sans Dieu ni jugement dernier. Sans diable non plus. Une religion qui n'est pas étrangère à l'amour. Mais un amour où la guerre et la haine sont proscrites, où le silence est possible. Ce pourrait être l'état idéal de l'existence. Un état apaisant. Un lien nécessaire et rare. Il ne souffre aucune impureté. L'autre, en face, l'être qu'on aime, est non seulement un miroir qui réfléchit, c'est aussi l'autre soi-même rêvé.
L'amitié parfaite devrait être une sorte de solitude heureuse, expurgée de sentiment d'angoisse, de rejet et d'isolement. Ce n'est pas une simple histoire de double où l'image de soi serait passée par un filtre, un examen qui en grossirait les défauts, les manques et en réduisant les qualités. Le regard de l'ami devrait nous livrer notre propre image avec exigence. »
L'ombre de la trahison couvre à peine 12 pages, mais elles sont probablement plus poignantes car qui ne s'est jamais senti trahi ?
« Parce que l'amitié est à l'écart de toute satiété et de tout calcul, ces dérapages ne devraient pas se produire, d'autant qu'on ne saurait les prévoir. L'absence de conflit pervers et d'intérêt dissimulé est le fondement même de l'amitié. Une amitié trahie est une blessure insupportable parce qu'elle ne faisait pas partie de la conception et de la nature de la relation, laquelle est une vertu.
Elle est vécue comme une injustice, une blessure incurable. Pourquoi ce genre de blessure persiste-t-il dans la mémoire ? Parce que le principe de la parole donnée n'a pas été respecté, la confiance a été abusée, s'est retrouvée comme une demeure cambriolée par celui ou celle à qui on en a laissé les clefs. Et l'on est effarés de découvrir qu'on a été dans l'erreur, qu'on a longtemps fait fausse route, cru des mots vides de sens, qu'on a ouvert sa maison intérieure, ce lieu intime du secret. Et voilà que soudain, tout vole en éclats. »
Avec ce livre, Tahar Ben Jelloun se livre avec brio à l'art du portrait : utilisant un style sobre et émouvant, il décrit ses amis et les liens qu'il entretient ou a entretenu avec eux, ce qui lui permet de partager un magnifique et véridique éloge de l'amitié. En effet, en se remémorant les amitiés qu'il a pu vivre, il en retire une réflexion sur ce qu'est l'amitié et ce qu'elle implique.
Ainsi, d'après ses expériences (ce qui n'est pas sans rappeler la démarche de Montaigne, certes, bien plus large), Ben Jelloun parvient à créer de magnifiques phrases à valeur de maximes.
C'est donc un livre plein de finesse - se référant par exemple à certains passages du De Amicitia de Cicéron - dans lequel la deuxième partie est bien emprunte d'une réflexion quasi-philosophique sur l'amitié et sur ce qu'engendre la trahison au sein de celle-ci, sur la souffrance que l'on peut endurer à la suite d'une "rupture" avec un ami.
C'est un très beau livre, concis et plein de vérité, qu'on ne lâche qu'après l'avoir lu d'une traite.
ELLE