Marvin, ou l'autre nom du chaos

Au détour des expériences cinématographiques, il y a des réalisateurs jalons qui emportent toujours chez moi une adhésion totalement subjective, quoi qu'ils fassent. Jim Jarmush en fait partie. C'est lent, personnel, parfois incompréhensible, esthétisant.... mais aussi poétique, recherché, mélodique. Et là, en suivant Paterson dans les rues de Paterson New Jersey, dans son bus trop vieillot, vivant avec une femme en noir et blanc, surgit le chaos.

Paterson est un poète, il écrit des pensées avec réalisme et assiduité, sans ironie juste des mots inspirés d'une boîte d'allumette, du temps, de William Carlos Williams, de la vie.

Mais Marvin en avait décidé autrement.

Marvin est un dog anglais. Un de ces chiens qui roulent plus qu'ils ne marchent, au caractère bien trempé, caractériels. Il n'aime pas Paterson. C'est le chien de sa petite amie achromatique. Sa jalousie canine le pousse à détruire le carnet de poèmes de son rival. Il le déchiquette pendant que les tourtereaux partagent une des premières versions de l’Ile du Docteur Moreau (celle de 1932, du noir et blanc pour elle) dans un cinéma de quartier.

Marvin, le grain de sable qui détruit les mots "écrits sur du sable".

Paterson n'aime pas Marvin.

Mais tout glisse sur lui. Un chauffeur de bus ne doit jamais s'énerver. Son petit carnet réduit en miettes, ses mots donnant un sens à sa vie réduits à néant, il ne réagit pas.

Etrange. C'est un poète. Et comme Jarmush aime la poésie, cela ne peut pas se finir aussi platement. Le chaos, initié par Marvin, mettra l'indolence de Paterson sur la route d'un japonais d'Osaka, amateur poète voyageant au gré de ses références.

Ainsi, le chaos ne débouche pas toujours sur une simple destruction, un ouragan à Manille peut changer la course d'un papillon pour que des mots viennent noircir de manière indélébile une feuille de papier qui contenait juste avant, l'univers des possibles.

Et avec tout ça, Would You Rather be a Fish?

Marvin c'est aussi le nom d'un robot. Pas n'importe lequel. LE robot dépressif et paranoïaque de la littérature de science fiction amusante. Marvin est à bord du cœur en or, se déplaçant grâce à un générateur d'improbabilité. Et que trouve-t-on au centre de ce qui est improbable ? Le chaos, le centre des chemins de tout ce qui peut exister, même une baleine ou un pot de pétunia totalement surpris de se retrouver en chute libre à 2000m d'altitude.

Marvin serait-il donc le petit surnom du chaos ?

Sinon, rien à voir, ça serait même le contraire, mais on trouvera dans ce dernier film de Jarmush un acteur qui brille par sa non production cinématographique (2 films en tout est pour tout, Paterson et....), qui fait là une courte apparition dans un dialogue autour d'un anarchiste italien. Je ne sais pas pourquoi je l'ai reconnu, peut-être parce que j'aime bien son autre film.

Devinette.

C'est un film construit par un réalisateur qui ne laisse rien au hasard, des scénarios innovants, de l'humour.

Des scouts...

Bruce Willis avec des cheveux (si si).

"Le temps de l'amour"

La tempête du siècle...

Bingo : Moonrise Kingdom, Wes Anderson.

Le petit Sam a un peu grandi, ses lunettes sont toujours trop grandes.

Bon d'accord, c'est un peu maigre pour faire un point commun existentiel entre Jim Jarmush et Wes Anderson. Mais tout de même, dans un monde où le chaos ouvre des possibilités même les plus improbables, pourquoi ne pas imaginer que le choix d'un acteur puisse être la traduction d'une connexion artistique.

Et alors ?

Bien, rien, pourquoi tout devrait avoir un sens phénoménal :-).

Ah si, peut-être le gout de la chimère : que serait un film réalisé à quatre yeux ? Deux visions qui pourraient se compléter dans une œuvre à nulle autre pareille ?

Deux indépendants qui pourraient se compléter ... mmhhh, imaginons (surtout au niveau de la chevelure résultante ;-))...