11 Mai 2017
Présente dans toutes cultures, la crainte de l'obscurité serait programmée biologiquement. Elle serait l'héritage de la crainte ancestrale des prédateurs, due à notre piètre vue nocturne.
C’est la nuit noire. La Lune n'est pas encore levée. Vous cherchez le sommeil, mais votre maison s'emplit de bruits qui prennent peu à peu une dimension terrifiante. Ces craquements deviennent des pas feutrés se rapprochant doucement dans le couloir. Ce glissement évoque une arme blanche qu'on sort de son étui. Ce grincement ressemble à un lointain effroi. Et ce léger souffle, à une respiration toute proche, péniblement retenue. Votre pouls s'accélère. Pourtant, impossible de vous lever, de tendre le bras jusqu'à l'interrupteur, pétrifiés que vous êtes dans cette obscurité. Ce sentiment vous est familier ? Logique : la peur du noir est l'une des peurs les plus répandues chez les Hommes. Elle est même instinctive. La preuve : elle se retrouve dans toutes les cultures.
On sait que trois types de peur ne présentent aucune différence culturelle : la peur du noir, la peur des hauteurs et la peur des serpents. Ce sont des peurs programmées biologiquement, contrairement à la peur des araignées, par exemple, qui n'existe que très peu en Asie par exemple et qui relèverait d'un apprentissage social.
Les monstres cristallisent nos peurs. Bien sûr, cette peur est aussi alimentée voire exacerbée culturellement. Chaque société crée et entretient ses créatures mythiques de la nuit, aux allures et aux mœurs effrayantes. Vampires, fantômes, loups-garous, toute une panoplie de monstres nocturnes a été inventée pour cristalliser nos angoisses naturelles et entretenir cette peur ancestrale. Il n'empêche, avant de s'épanouir à travers eux, la peur du noir est un potentiel que nous possédons tous même si ce potentiel s'exprime différemment en fonction de l'histoire de chacun et de son environnement.
Très en vogue aujourd'hui, les vampires existent depuis plus de 5000 ans et dans beaucoup de cultures. On en trouve des traces écrites jusque dans l'Egypte antique.
De même la croyance en les fantômes, très répandue en Asie se retrouve dans toutes les cultures et ce depuis l'Antiquité aussi.
Présents dans la mythologies grecque, les loups-garous appartiennent traditionnellement plutôt à la culture européenne mais sont peu à peu intégrés dans les mythes américains et asiatiques.
Avant de venir hanter le folklore américain, puis européen, les morts-vivants sont nés en Haïti : ces monstres seraient le résultat de sortilèges vaudous.
À bien y réfléchir, il est parfaitement logique que cette peur soit inscrite au plus profond de nous. Il y a quelques dizaines de milliers d'années, si Homo Sapiens décidait sur un coup de tête de quitter son groupe et sa grotte pour aller prendre un peu le frais au-dehors, dans la nuit obscure. Il avait peu de chance de survivre à son intrépidité ! Pour cause : les faibles capacités de nos yeux à percer l'obscurité nous laissent peu de chance d'anticiper la menace que représentent les prédateurs nocturnes dotés, eux, d'une excellente vue de nuit. Les attaques de lions sur l'homme en Tanzanie (un des rares pays où les félins évoluent encore en liberté, y compris hors des parcs naturels) sont clairement plus fréquentes durant les nuits sans lune ! Il en a vraisemblablement toujours été ainsi... et même les citadins d'aujourd'hui, que nous sommes, dont les prédateurs les plus proches sont soigneusement enfermés dans des zoos, ont hérité de ce conditionnement : nous ne sommes rien d'autre que des fils et filles de peureux, des enfants de ceux qui, écoutant leur crainte, se sont protégés des prédateurs nocturnes ; des produits de la sélection naturelle qui pendant 200 000 ans a impitoyablement éliminé les individus incapable de percevoir les dangers du noir et de les transmettre à leur descendance.
Résultat, moins on n’y voit, plus on panique. En témoigne le comportement des enfants atteints de cécité nocturne car si l’Homme est un handicapé de la vision nocturne, il est toutefois doté d’une petite adaptation qui lui permet au bout de quelques minutes de distinguer les gros objets, sauf chez les individus qui ne parviennent pas à accommoder leur rétine. Chez les enfants présentant cette pathologie on constate une phobie démesurée du noir : seule une lumière leur permet de trouver le sommeil. Cette peur, salvatrice à l'échelle de l'humanité peut donc se révéler handicapante pour l'individu. Et si peu de personnes se tournent vers un psychiatre spécifiquement pour cette peur, nombreux sont ceux qui, tant pour d'autres raisons, évoquent cette crainte de l'obscurité.
La part des personnes réellement phobiques du noir reste faible. Toutefois même chez les personnes qui parviennent à surmonter ce sentiment, cette appréhension du noir pourrait avoir des répercussions plus grandes qu’on ne le pense. La peur du noir semble être une cause significative d’insomnie. Pour beaucoup d’insomniaques la nuit signifie l’heure des tensions.
Ces tensions sont encore plus courantes chez les enfants. En effet, lequel n'a jamais demandé à laisser une lumière allumée au moment du coucher ? La peur du noir est l'une des plus fréquemment rapportées par les petits. « Tous les enfants ont, à un moment donné, un problème avec le noir, confirme un psychiatre. D'ailleurs, les adultes qui connaissent de vraies difficultés avec cette phobie présentaient déjà de grandes difficultés durant leur enfance. » Cette peur semble apparaitre vers 3 ans, puis diminue normalement avec l'âge, chez les garçons comme chez les filles. Il arrive toutefois qu'elle ne disparaisse pas, voire s'exacerbe.
Les parents parviennent à créer un sentiment de sécurité générale, s'ils sont présents lors des réveils la nuit, s'ils rassurent l'enfant en cas de cauchemar, la peur du noir ne devient généralement pas une phobie. En revanche, si l'enfant vit quelque chose de traumatisant durant une nuit, ou si des intrusions extérieures viennent sans cesse perturber l'endormissement ou le sommeil, cette peur peut devenir moins contrôlable.
Si l'intensité de son expression dépend donc de l'histoire de chacun, la peur du noir existe bien en nous biologiquement. Et on sait même précisément où : c'est l'amygdale, le principal organe de la peur dans le cerveau, qui la régule. Les personnes dont l'amygdale ne fonctionne plus cessent d'avoir peur la nuit.
La peur hante aussi notre sommeil. Une fois endormi malgré l'effroi que la peur du noir engendre, voilà que l'on retombe dans une épouvante plus grande encore : celle des cauchemars et des terreurs nocturnes. Ces dernières, plus fréquentes chez les enfants s'apparentent au somnambulisme et interviennent en période de sommeil lent profond (et non en sommeil paradoxal comme la plupart des rêves). Durant ces épisodes, nous semblons affolés : nous avons les yeux ouverts, nous crions ou tenons des propos incohérents, gesticulons. Mais si nous nous réveillons (ce qui est rare), nous sommes incapables de formuler les causes de notre angoisse. Le plus souvent, nous continuons à dormir et n'avons aucun souvenir des événements qui nous serons rapportés par l’entourage à notre réveil. Les cauchemars, eux, sont dominés par un sentiment de peur très majoritaire (devant la tristesse et la douleur). Les cauchemars sont définis comme des rêves si pénibles qu'ils provoquent souvent notre réveil. Les thèmes des cauchemars les plus fréquents sont les agressions physiques, les conflits, la mort et la maladie. Les cauchemars des hommes sont souvent liés à des catastrophes (tremblements de terre, inondations, guerres), alors que les femmes cauchemardent plutôt sur les conflits interpersonnels.
La peur de dormir vient alors parfois sur superposer à la peur du noir.
Le temps où nos ancêtres veillaient la nuit pour surveiller le campement paraît bien loin. Mais si nous transposions notre aventure sur Terre à une échelle de 24 heures, cette menace permanente que représentent nos prédateurs couvrirait la quasi-totalité de la journée. Seules les dernières minutes seraient plus tranquilles. Impossible, donc, d'oublier si vite ce qui nous a permis de survivre jusqu'ici : la peur du noir et de ses dangers. Chacun de nous porte donc ce fardeau, ancré dans ses gènes. Le tout est de faire en sorte que ce cadeau empoisonné ne devienne pas un trop grand handicap...
ELLE