19 Mai 2017
Il y a quelques dictons qui peuvent permettre d'aborder ce sujet glissant, comme "ne pas remettre au lendemain ce que l'on peut faire le jour même".
Cela fait beaucoup de mots à détailler dans cette phrase, remettre, lendemain, faire...
Nous sommes dans un monde, un temps ou remettre est une faiblesse, le temps ne se prévoit plus, le faire remplace l'être.
Je l'avoue, je suis un "procrastinateur", encore un mot compliqué pour dire que je vois le temps d'une autre manière, un temps peut-être moins linéaire, un temps ou le lendemain vaut autant qu'hier ou aujourd'hui. Comble de mécréance, faire n'a jamais été un projet de vie. Etre, voilà une recherche qui a du sens, on pourrait appeler ça donner un sens à la vie.
Je ne m'inscris pas dans le temps du faire, alors penser à ce qui pourrait être bien aujourd'hui pour demain... Bien sûr, cette description idyllique est à pondérer par la réalité. Le travail, les relations sociales, la famille, tout conduit à être obligé de faire, à mettre des priorités, à organiser le quotidien pour éviter les débordements ingérables. Pour ça aussi je suis doué je crois. Mon astuce est justement de prévoir et de faire en sorte qu'aujourd'hui, demain et après-demain soient en accord et complémentaires. Remettre au lendemain est alors un complément de prévoyance.
Fort de ces capacités, j'emploie mon sens de l'organisation pour faire le nécessaire et remettre au lendemain ce que je ne veux pas ou n'ai pas envie de faire le jour même. Pourquoi ? Mais justement, pour chercher à être. Laisser le vent souffler, laisser l'eau couler, laisser le temps fondre sans s'en soucier, et contempler.
Ne rien faire est extrêmement compliqué. Comment laisser ses doigts inactifs, ses sens passifs, ses pensées vagabondes ?
La procrastination trouve tout son sens dans la possibilité qu'elle nous donne de nous arracher souvent au prix d'efforts insoupçonnés, aux flux et aux réalités aux issues fatales. L'entropie nous grignote et nous ronge sans que nous y pensions, les couchers de soleil succèdent aux levers pour faire s'égrener les grains de sable de nos vies dans un compte à rebours que nous évitons de regarder, après tout un tas de 29 ou 30 000 grains de sable ne diminue pas vite.
Comment utiliser ce temps libéré à bon escient ? Je parlais de contemplation, de la manière qui nous est offerte parfois de nous mêler à ce qui nous entoure sans penser, en ressentant, juste comme ça. Rien d'autre. Contempler c'est accepter, c'est tolérer, c'est être, c'est vivre pleinement son humanité consciente aux frontières de la conscience.
Alors oui, je procrastine et je fais en sorte d'avoir tout le temps nécessaire pour en profiter pour vivre.
Bien sûr, vivre ne se résume pas non plus à ces moments vrais. Sans paraître (par-être) illusoires, il y a des moments intenses qui peuvent nous donner l'impression d'être un peu plus vivant, un orgasme, un saut en élastique ou un spectacle unique (sportif, artistique, naturel...). Pourtant, ils sont tous trop courts et parfois ils nous donnent un avant goût de notre impermanence, de notre fin létale (la petite mort pouvant même devenir, ironiquement, la vraie).
Finalement, cette intensité ramenée aux 30 000 grains de sable donne quoi ?
Alors, de temps en temps, se poser et contempler le spectacle irrémédiable mais si fantastique et complexe que nous donnent nos sens peut donner un sens à ce que l'on n'est pas disposé à comprendre. Etre c'est accepter cela et le savoir profondément. Alors, est-ce que procrastiner est si vide ?
Certains pourraient dire que l'art de la procrastination consiste justement à trouver les meilleures excuses pour ne pas faire ce qui est attendu. Qui plus est, on pourrait même prétendre que si les choses sont faites en temps et en heure, on peut justement dégager du temps après, donc pas besoin de procrastiner. Est-ce si certain que cela ? L'action entraine l'action, faire une chose en entraine une autre. Les obligations permanentes envers des engagements ou les autres nous poussent à agir dans un mouvement perpétuel. Dans ces conditions, la procrastination est la seule échappatoire pour trouver ce temps immobile et nécessaire.
IL
IL est un procrastinateur hors compétition ! Je ne suis pas bien plus courageuse que lui concernant tout ce que l'on remet à demain mais j'ai ancré en moi un défaut encore plus viscéral que la flemmardise : la culpabilité !
Si Il sait profiter des ces moments gagnés sur des tâches remises à plus tard, je ne sais pas les savourer car je culpabilise de ne rien faire où de ne pas être à jour dans mon travail, l'angoisse me gagne et je gâche ce temps de détente.
Professionnellement, il est des choses que l'on ne peut remettre à plus tard sans en payer le prix fort, sans entrer dans des compromis pénible ou douloureux.
A force de reports et de compromis, le risque de voir le travail bâclé grandit. Les grands projets perdent en ampleur et les belles idées en superbe...
Il faut savoir l'accepter.
Attention aussi à ne pas transformer demain en jamais...
Bref, un bon procrastinateur doit s'assumer ! Je ne suis pas une bonne procrastinatrice, je ne suis qu'une grosse flemme rongée par le remords de ce qui n'est fait et qui ne sait même pas en profiter !
Une petite vidéo pour illustrer le sujet :
ELLE